Manuel PEREIRA – Référent accessibilité numérique de l’Association Valentin Haüy
J’ai un parcours un peu atypique. J’ai une formation de juriste d’affaires. J’ai été juriste d’entreprise pendant quelques années. J’ai travaillé ensuite dans le milieu associatif, pour m’intéresser très vite à l’accessibilité d’Internet par ce que j’imaginais que cela pouvait ouvrir beaucoup d’accès à l’information pour les personnes déficientes visuelles.
À l’époque, on travaillait beaucoup par système de fax et on basculait d’un système papier à un système électronique. Je voyais, dans ce changement, une révolution qui pouvait profiter aux personnes en situation de handicap. Et plus spécifiquement, aux personnes déficientes visuelles.
Partant de là, j’ai travaillé cette problématique et j’ai fait partie du premier tour de table suite à la loi de 2005 qui a élaboré le premier référentiel général, RG2A,(Référentiel Général d’Accessibilité pour les Administrations), en 2009.
Il fixait des règles très claires pour que des sites Internet publics, qu’ils soient des collectivités ou des administrations, soient tous accessibles en 2011.
On constate qu’en 2021, la situation est catastrophique. Moins de 10 % des sites Internet sont accessibles. 97 % des pages des sites sont totalement inaccessibles.
Aujourd’hui, l’État est le premier à ne pas respecter la loi.
Alors que tout l’arsenal législatif existe. Les sanctions peuvent être présentées. Elles sont prévues. Mais aujourd’hui, l’État continue à ne pas respecter cette loi. Il continue à faire en sorte que des personnes se retrouvent totalement écartées en termes d’accessibilité pour réaliser leurs démarches administratives de base. On est aujourd’hui dans une dématérialisation à marche forcée. On veut tout dématérialiser. Il y a une volonté réelle des pouvoirs publics de tout dématérialiser. En oubliant complètement qu’on va laisser sur la route des personnes, plus de 1,5 million de personnes aveugles et malvoyantes qui vont se retrouver dans la galère parce qu’elles ne vont pas être capables de remplir leurs démarches administratives pour faute d’accessibilité. L’Etat nous dit « On va essayer de respecter autour de 70 à 80 % de la loi ». Soit on la respecte à 100 %, soit on ne la respecte pas. Il n’y a pas de demi-mesure.
Du côté du privé, ce n’est pas mieux. Seules les entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 250 millions d’euros ont l’obligation de rendre leurs sites accessibles.
Aujourd’hui, il est urgent que l’on respecte la loi, que l’État fasse respecter la loi et qu’il la respecte lui-même.
Il faut absolument qu’il y ait une prise de conscience et un changement des mentalités par rapport à l’accessibilité du Web en France. Il faut commencer par former les gens. Les développeurs n’ont quasiment jamais entendu parler d’accessibilité dans leur cursus de formation. Il faut commencer par instaurer de façon obligatoire dans les cursus de formation des acteurs du Web, des développeurs, des designers, un module touchant à l’accessibilité pour qu’ils aient les notions sur ces sujets et qu’ils puissent les appliquer.
Si l’on compte les personnes en situation de handicap et les seniors, c’est 17 millions de personnes, à peu près, qui sont impactées en France par des problèmes d’accessibilité. Ce n’est pas négligeable.
Si on raisonne en termes de chiffre d’affaires, c’est une part de business qu’il conviendrait de ne pas laisser de côté…